Espace Schengen et la maîtrise des frontières extérieures de l'Union européenne

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L’Espace Schengen qui symbolise la libre circulation des personnes est une des réussites majeures de l’Union européenne. Pourtant, de nombreuses critiques virulentes se sont fait entendre soit pour « sortir de l’Espace Schengen », soit pour prôner son démantèlement. Les citoyens européens sont en réalité très attachés à la libre circulation des personnes et le repli sur les frontières nationales n’est pas la solution. La force symbolique de la frontière nationale qui protège est incontestable mais les contrôles systématiques ne constituent pas un moyen de protection efficace contre une menace extérieure. La construction de l’Espace Schengen représente un acquis incontestable mais il faut le transformer en profondeur pour qu’il s’adapte aux nouveaux défis auxquels est confrontée l’Union européenne. De cinq États fondateurs, l’Espace Schengen compte dorénavant 26 pays. Initié dans le cadre de la coopération intergouvernementale, l’acquis Schengen a été intégré dans l’Union européenne par le traité d’Amsterdam en 1997. Désormais, des millions de personnes circulent chaque année dans l’Espace Schengen sans être contrôlées lorsqu’elles franchissent les frontières intérieures des États membres. Enfin, l’Espace Schengen, et ce n’est pas la moindre réussite, a permis une intégration sans précédent des économies européennes. Dans le cadre de ce rapport nous n’aborderons pas la question de la libre circulation des biens et marchandises, nous concentrant sur la question de la libre circulation des personnes. Mais cette construction d’un espace sans contrôles aux frontières intérieures présente de nombreuses caractéristiques qui en font un projet trop complexe et inachevé. La complexité tient essentiellement à l’existence d’un espace qui ne correspond pas à la carte de l’Union européenne. Ainsi 22 États membres sur 28 font pleinement partie de l’Espace Schengen. Mais parmi eux, le Danemark applique l’acquis de Schengen mais en tant que droit international seulement et non comme droit de l’Union. En revanche, 6 États membres ne participent pas pleinement à la coopération Schengen mais pour des raisons et avec des statuts différents. Le Royaume-Uni et l’Irlande disposent d’une clause dérogatoire, appelée « opting out », au titre de laquelle ils ne participent pas à tout l’acquis de Schengen et continuent d’exercer des contrôles à l’entrée sur leur territoire. À l’inverse, 4 États membres (Roumanie, Bulgarie, Chypre et Croatie) ont vocation à faire partie de l’Espace Schengen et appliquent tout ou partie de l’acquis de Schengen, mais doivent maintenir les contrôles aux frontières intérieures. Enfin, l’Espace Schengen compte 4 États associés non membres de l’Union européenne (Islande, Norvège, Suisse et Liechtenstein) qui appliquent tout l’acquis de Schengen et n’exercent pas de contrôles aux frontières intérieures. Schengen est donc un espace territorialement spécifique et juridiquement complexe puisqu’à chaque situation correspond un régime juridique particulier. Le caractère inachevé de la construction de l’Espace Schengen tient à la difficulté de dépasser le concept de souveraineté nationale. En effet, la résistance des États à se dessaisir de leurs droits souverains en matière de contrôle de la frontière et de sécurité intérieure a rendu difficile l’évolution de l’Espace Schengen et son adaptation face à de nouvelles menaces. Ces réticences ont d’abord porté sur la question du contrôle des frontières extérieures. Le principe de libre circulation implique un report des contrôles aux frontières extérieures de l’espace. Or, dans le système Schengen, et en application du principe de souveraineté, la frontière extérieure est une frontière nationale dont le contrôle échoit aux autorités nationales. Ainsi, chaque État contrôle sa part de frontière extérieure dans l’intérêt des autres États. Ce système repose sur l’hypothèse que tous les États appliquent les règles communes et exercent un contrôle identique à l’entrée de l’Espace Schengen. Si cette présomption était acceptable lorsque l’Espace Schengen ne concernait qu’un groupe réduit d’États, elle s’est érodée avec l’élargissement du nombre de pays partenaires. De plus, la difficulté du contrôle n’est pas identique que l’on soit en mer Égée avec une multitude d’îles ou à la frontière entre l’Estonie et la Russie, si bien que le principe d’une application uniforme des règles et des contrôles peine à s’appliquer. Le poids de la souveraineté nationale a par ailleurs fortement entravé le volet sécuritaire de l’Espace Schengen et tout particulièrement la coopération policière entre les États membres. Cette réaction souverainiste s’explique aisément si l’on rappelle que l’article 4 du Traité sur l’Union européenne stipule que la sécurité nationale reste de la seule responsabilité des États. Depuis 2015, l’Espace Schengen a surtout failli par manque de sens de l’anticipation, alors qu’il avait déjà connu des crises comme en 2011 suite aux « printemps arabes », qui ont d’ailleurs conduit à une légère réforme de sa gouvernance. C’est donc « à logique constante » et avec des instruments inadaptés que les États membres ont dû faire face à l’effondrement de régimes dictatoriaux, qui jouaient en quelque sorte le rôle de garde-frontières, et à la déstabilisation de régions entières jetant sur les routes de l’exil des millions de personnes fuyant la guerre et le terrorisme. La crise des réfugiés a été le révélateur d’une lecture essentiellement nationale des questions migratoires et des réponses à y apporter. Alors que tout indiquait que des demandeurs d’asile et réfugiés arriveraient en nombre sur le territoire européen, en raison notamment du conflit syrien, les États membres ont refusé de prévoir et d’organiser leur arrivée. En refusant de prendre en considération tous les signaux envoyés par Frontex et les agences des Nations-Unies (UNHCR et PAM), évacuant la question de la réinstallation des réfugiés syriens résidant en Turquie, au Liban ou en Jordanie, les États membres ont semblé impuissants à faire face à l’afflux de migrants qui a frappé l’Union européenne à partir du mois d’août 2015. À défaut d’adopter une démarche collective de prévention et d’organisation des flux de réfugiés, les États membres n’ont eu d’autre option que de réagir. Or, dans un domaine où la souveraineté joue à plein, la réaction a pris la forme du « chacun pour soi » au détriment de la réponse européenne. La remise en cause de l’Espace Schengen conduirait à la ruine du projet européen car il en est un des symboles, c’est-à-dire la construction d’un espace dans lequel la recherche de toujours plus de liberté tient une place centrale, les citoyens européens étant très attachés à cette mobilité intra-européenne et à cette fluidité des déplacements. Économiquement, ensuite, Schengen a été un accélérateur déterminant de l’intégration économique européenne grâce à une meilleure circulation des biens et des personnes. Rétablir les contrôles aux frontières intérieures trop longuement risque d’avoir un effet de ralentissement économique durable. Pour préserver l’Espace Schengen, le défi consiste à mettre en œuvre l’ensemble des mesures qui permettront de renforcer la frontière extérieure dans sa fonction, celle d’un filtre, et d’organiser une coopération policière efficace. Si ce mouvement doit assurer une amélioration de la confiance entre les acteurs étatiques et les citoyens vis-à-vis du projet commun, il nécessite aussi une volonté politique. Il est capital de restaurer la confiance entre les États membres et de prendre conscience que nous serons plus forts ensemble et plus efficaces contre les nouvelles menaces qui fragilisent l’Union européenne. C’est par un mouvement volontaire de plus d’intégration européenne que nous parviendrons à instaurer une Europe qui protège tout en préservant les acquis de la libre circulation.
Keywords: 
Schengen, Better Migration Management, Foreign Affairs, Security & Defence, Frontex, Migration Crisis
Country of publication: 
France
File: 
Publication date: 
Thursday, April 19, 2018
Title Original Language: 
Espace Schengen et la maîtrise des frontières extérieures de l'Union européenne
Abstract Original Language: 
L’Espace Schengen qui symbolise la libre circulation des personnes est une des réussites majeures de l’Union européenne. Pourtant, de nombreuses critiques virulentes se sont fait entendre soit pour « sortir de l’Espace Schengen », soit pour prôner son démantèlement. Les citoyens européens sont en réalité très attachés à la libre circulation des personnes et le repli sur les frontières nationales n’est pas la solution. La force symbolique de la frontière nationale qui protège est incontestable mais les contrôles systématiques ne constituent pas un moyen de protection efficace contre une menace extérieure. La construction de l’Espace Schengen représente un acquis incontestable mais il faut le transformer en profondeur pour qu’il s’adapte aux nouveaux défis auxquels est confrontée l’Union européenne. De cinq États fondateurs, l’Espace Schengen compte dorénavant 26 pays. Initié dans le cadre de la coopération intergouvernementale, l’acquis Schengen a été intégré dans l’Union européenne par le traité d’Amsterdam en 1997. Désormais, des millions de personnes circulent chaque année dans l’Espace Schengen sans être contrôlées lorsqu’elles franchissent les frontières intérieures des États membres. Enfin, l’Espace Schengen, et ce n’est pas la moindre réussite, a permis une intégration sans précédent des économies européennes. Dans le cadre de ce rapport nous n’aborderons pas la question de la libre circulation des biens et marchandises, nous concentrant sur la question de la libre circulation des personnes. Mais cette construction d’un espace sans contrôles aux frontières intérieures présente de nombreuses caractéristiques qui en font un projet trop complexe et inachevé. La complexité tient essentiellement à l’existence d’un espace qui ne correspond pas à la carte de l’Union européenne. Ainsi 22 États membres sur 28 font pleinement partie de l’Espace Schengen. Mais parmi eux, le Danemark applique l’acquis de Schengen mais en tant que droit international seulement et non comme droit de l’Union. En revanche, 6 États membres ne participent pas pleinement à la coopération Schengen mais pour des raisons et avec des statuts différents. Le Royaume-Uni et l’Irlande disposent d’une clause dérogatoire, appelée « opting out », au titre de laquelle ils ne participent pas à tout l’acquis de Schengen et continuent d’exercer des contrôles à l’entrée sur leur territoire. À l’inverse, 4 États membres (Roumanie, Bulgarie, Chypre et Croatie) ont vocation à faire partie de l’Espace Schengen et appliquent tout ou partie de l’acquis de Schengen, mais doivent maintenir les contrôles aux frontières intérieures. Enfin, l’Espace Schengen compte 4 États associés non membres de l’Union européenne (Islande, Norvège, Suisse et Liechtenstein) qui appliquent tout l’acquis de Schengen et n’exercent pas de contrôles aux frontières intérieures. Schengen est donc un espace territorialement spécifique et juridiquement complexe puisqu’à chaque situation correspond un régime juridique particulier. Le caractère inachevé de la construction de l’Espace Schengen tient à la difficulté de dépasser le concept de souveraineté nationale. En effet, la résistance des États à se dessaisir de leurs droits souverains en matière de contrôle de la frontière et de sécurité intérieure a rendu difficile l’évolution de l’Espace Schengen et son adaptation face à de nouvelles menaces. Ces réticences ont d’abord porté sur la question du contrôle des frontières extérieures. Le principe de libre circulation implique un report des contrôles aux frontières extérieures de l’espace. Or, dans le système Schengen, et en application du principe de souveraineté, la frontière extérieure est une frontière nationale dont le contrôle échoit aux autorités nationales. Ainsi, chaque État contrôle sa part de frontière extérieure dans l’intérêt des autres États. Ce système repose sur l’hypothèse que tous les États appliquent les règles communes et exercent un contrôle identique à l’entrée de l’Espace Schengen. Si cette présomption était acceptable lorsque l’Espace Schengen ne concernait qu’un groupe réduit d’États, elle s’est érodée avec l’élargissement du nombre de pays partenaires. De plus, la difficulté du contrôle n’est pas identique que l’on soit en mer Égée avec une multitude d’îles ou à la frontière entre l’Estonie et la Russie, si bien que le principe d’une application uniforme des règles et des contrôles peine à s’appliquer. Le poids de la souveraineté nationale a par ailleurs fortement entravé le volet sécuritaire de l’Espace Schengen et tout particulièrement la coopération policière entre les États membres. Cette réaction souverainiste s’explique aisément si l’on rappelle que l’article 4 du Traité sur l’Union européenne stipule que la sécurité nationale reste de la seule responsabilité des États. Depuis 2015, l’Espace Schengen a surtout failli par manque de sens de l’anticipation, alors qu’il avait déjà connu des crises comme en 2011 suite aux « printemps arabes », qui ont d’ailleurs conduit à une légère réforme de sa gouvernance. C’est donc « à logique constante » et avec des instruments inadaptés que les États membres ont dû faire face à l’effondrement de régimes dictatoriaux, qui jouaient en quelque sorte le rôle de garde-frontières, et à la déstabilisation de régions entières jetant sur les routes de l’exil des millions de personnes fuyant la guerre et le terrorisme. La crise des réfugiés a été le révélateur d’une lecture essentiellement nationale des questions migratoires et des réponses à y apporter. Alors que tout indiquait que des demandeurs d’asile et réfugiés arriveraient en nombre sur le territoire européen, en raison notamment du conflit syrien, les États membres ont refusé de prévoir et d’organiser leur arrivée. En refusant de prendre en considération tous les signaux envoyés par Frontex et les agences des Nations-Unies (UNHCR et PAM), évacuant la question de la réinstallation des réfugiés syriens résidant en Turquie, au Liban ou en Jordanie, les États membres ont semblé impuissants à faire face à l’afflux de migrants qui a frappé l’Union européenne à partir du mois d’août 2015. À défaut d’adopter une démarche collective de prévention et d’organisation des flux de réfugiés, les États membres n’ont eu d’autre option que de réagir. Or, dans un domaine où la souveraineté joue à plein, la réaction a pris la forme du « chacun pour soi » au détriment de la réponse européenne. La remise en cause de l’Espace Schengen conduirait à la ruine du projet européen car il en est un des symboles, c’est-à-dire la construction d’un espace dans lequel la recherche de toujours plus de liberté tient une place centrale, les citoyens européens étant très attachés à cette mobilité intra-européenne et à cette fluidité des déplacements. Économiquement, ensuite, Schengen a été un accélérateur déterminant de l’intégration économique européenne grâce à une meilleure circulation des biens et des personnes. Rétablir les contrôles aux frontières intérieures trop longuement risque d’avoir un effet de ralentissement économique durable. Pour préserver l’Espace Schengen, le défi consiste à mettre en œuvre l’ensemble des mesures qui permettront de renforcer la frontière extérieure dans sa fonction, celle d’un filtre, et d’organiser une coopération policière efficace. Si ce mouvement doit assurer une amélioration de la confiance entre les acteurs étatiques et les citoyens vis-à-vis du projet commun, il nécessite aussi une volonté politique. Il est capital de restaurer la confiance entre les États membres et de prendre conscience que nous serons plus forts ensemble et plus efficaces contre les nouvelles menaces qui fragilisent l’Union européenne. C’est par un mouvement volontaire de plus d’intégration européenne que nous parviendrons à instaurer une Europe qui protège tout en préservant les acquis de la libre circulation.
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