En 2011, des soulèvements populaires dans le Maghreb et au Proche-Orient, sans leader et sans assise idéologique affichée, portés par les frustrations des classes moyennes et la colère d’une jeunesse exclue du jeu politique et économique, ont mis fin à des régimes autoritaires que l’on croyait solidement implantés. Cette déflagration a surpris les capitales européennes. Ainsi le Maghreb, qui avait été occulté dans nos medias par le Moyen-Orient, a de nouveau fait irruption dans l’histoire. Les commentateurs des soulèvements de 2011 s’étaient émus que ni les responsables politiques, ni les diplomates, ni les chercheurs n’aient venu venir l’étincelle tunisienne. A-t-on fait des efforts depuis pour mieux comprendre les sociétés maghrébines? En réalité la France connaît moins bien le Maghreb qu’auparavant. La connaissance du Moyen-Orient a remplacé celle de l’Afrique du nord. Ce rapport vise donc d’abord à comprendre les mutations intervenues depuis 2011 dans cette région, les défis auxquelles elle doit faire face, au plan sécuritaire, politique et économique. Enfin, il vise à analyser sans indulgence la manière dont la France, avec l’Union européenne, a répondu au défi de l’irruption de cette nouvelle donne. La mission a fait le choix de s’intéresser aux cinq pays – Algérie Libye Tunisie Maroc et Mauritanie – qui forment le Grand Maghreb. Ce qui est aujourd’hui un concept géographique. Mais cet ensemble géographique est aussi culturellement cohérent et distinct au sein du Grand-Moyen-Orient dans lequel les Américains l’englobent. On y retrouve des traits communs et s’y fondent en un ensemble culturel et linguistique cohérent les influences berbère, romaine, arabe ou encore africaine. Surtout, leurs problématiques politiques et économiques sont proches par-delà les particularismes nationaux. Des travaux de la mission on retiendra en effet que les pays du Maghreb partagent des enjeux communs. Tous les pays connaissent des situations de transition politique. L’articulation entre islam et démocratie pluraliste y sera crucial dans les années à venir. C’est au Maghreb que s’invente en effet l’articulation de l’islam et de la démocratie pluraliste. Il existe une société maghrébine de mieux en mieux informée et ancrée dans la mondialisation. La société se désolidarise de plus en plus de ses dirigeants, que ce soit au plan économique ou au plan politique. Sans avoir toujours une idéologie clairement affirmée, la société réclame une plus grande responsabilité des dirigeants. Les facteurs principaux du soulèvement de 2011 n’ont pas disparu, au contraire. Les indicateurs socio-économiques sont toujours au rouge. La crise économique n’a pas épargné les pays du Maghreb, notamment en raison de leur forte dépendance à l’égard de l’économie européenne. De plus, ces pays sont directement concurrencés par les pays de l’Est, ou les pays asiatiques. La faiblesse des projections de croissance dans les années à venir devrait inciter ces pays à diversifier leurs partenariats et investir dans des secteurs créateurs d’emploi. L’intégration régionale est au point mort, principalement du fait du différend qui oppose l’Algérie et le Maroc autour de la question du Sahara occidental. La mission a ensuite souhaité porter l’accent sur la réponse européenne aux révolutions de 2011 et plus généralement l’état du partenariat Euro-Maghreb. La tentation européenne de traiter son sud avec les mêmes exigences que son voisinage, sans lui offrir la perspective d’une intégration européenne, que ces pays ne souhaiteraient d’ailleurs probablement pas à l’heure actuelle, rend le dialogue parfois difficile. De plus, depuis 2011, le partenariat Euro-Maghrébin est entré dans une nouvelle phase historique. Il se pose en des termes différents: la question de la légitimité politique, qui était auparavant reléguée au second plan, est aujourd’hui placée au coeur du dialogue entre Europe et Maghreb. Les relations Euro-Maghreb doivent-elles s’analyser en termes d’instauration d’un espace démocratique à l’échelle européenne, ou de la construction d’un espace de libre-échange, voire même d’une intégration à terme au sein du marché intérieur? Le partenariat Euro-Maghreb semble susciter peu d’enthousiasme et beaucoup de questions. Pourtant l’Europe, compte tenu de sa proximité géographique et de son poids économique, va rester le partenaire principal du Maghreb. Ce rapport propose à tout le moins d’identifier les difficultés qui freinent un partenariat qui devrait être à la hauteur de notre voisinage Est étant donné son caractère stratégique pour l’Europe. Pour la France, à travers l’Europe, l'enjeu est de conserver les relations d’exception qui sont les nôtres avec le Maghreb. La certitude d’occuper une place à part dans cette région pourrait faire oublier à Paris que, pour être privilégiée, sa position n’est pas acquise. L’enjeu est aussi "intérieur": le destin de la France et du Maghreb sont mêlés, qu’on le veuille ou non, ne serait-ce que par l’intensité des échanges humains entre nos deux continents, les bi-nationaux, la langue commune, l’histoire partagée avant que la France ne redevienne hexagonale. Promouvoir une politique maghrébine ambitieuse serait enfin pour la France le moyen de renouer les deux fils des grands projets diplomatiques portés par Paris depuis la seconde guerre mondiale: le Sud et l’Union européenne.