Les données numériques: un enjeu d'éducation et de citoyenneté
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"Data-driven management", "data marketing", "désintermédiation", "prescription algorithmique"... pour qui veut s’immerger dans l’univers du Big Data, le passage obligé par une explication de texte est requis. Dans les années quatre-vingt-dix, l’internet était encore un outil à taille humaine et les résultats qui apparaissaient à la suite d’une requête étaient le résultat d’avis d’experts humains "identifiables". Près d’un quart de siècle plus tard, une requête sur un moteur de recherche peut générer l’analyse des données de 200 millions de sites web. Face à cet imposant volume de données en circulation, seule une poignée d’entreprises ont su déployer une infrastructure de type Big Data capable de servir des bases d’utilisateurs supérieures à 500 millions de personnes. La désintermédiation est un des risques les plus importants du Big Data, en ce sens que d’ores et déjà, ces entreprises et autres plateformes du numérique proposent, comme Google, à la suite d’une requête et de manière quasiment instantanée, leur propre "panneau de réponses". Se mouvoir dans cet espace numérique requiert alors une capacité à gérer et maîtriser les données qui nous entourent. La production des données a pour l’essentiel de notre histoire été le fruit de travaux complexes auxquels participaient de nombreux acteurs administratifs, culturels ou économiques. L’archivage des données constitue aussi un élément délicat et coûteux du processus de transmission des savoirs. Les plus grandes bibliothèques du monde peuvent au mieux conserver quelques millions d’ouvrages et la pérennisation de ces lieux nécessite d’importants moyens humains et techniques. Les processus ainsi mis en oeuvre induisent une rareté des lieux de savoirs et une obligation de ne conserver de manière durable que les savoirs jugés indispensables. Qu’il s’agisse des administrations, des entreprises ou des individus, pendant l’essentiel de l’histoire de nos sociétés, l’oubli était la règle et la mémoire était l’exception. Or, les technologies numériques ont transformé ce rapport à l’information en réduisant drastiquement les coûts de stockage et de traitement des informations. Cette conservation massive des données est devenue un vecteur de changement pour l’ensemble des organisations, mais elle induit aussi des changements dans nos modes de vie à mesure que les informations personnelles sont traitées et stockées. Face à l’essor du Big data, les révélations d’Edward Snowden sur les pratiques mises en place par la NSA ont permis à l’opinion publique mondiale de prendre conscience de la vulnérabilité des individus face aux dispositifs qui étaient mis en place sur Internet pour leur apporter des services nouveaux et qui pouvaient dans une logique inversée devenir un risque pour eux-mêmes et pour leurs libertés. Ces révélations sont ainsi apparues comme un nécessaire rappel à la lucidité pour les citoyens et les organisations dans la gestion des données personnelles et dans la protection des données sensibles des entreprises. Le premier sujet d’inquiétude des internautes reste le risque d’atteinte aux données personnelles. 86% des mobinautes français souhaitent pouvoir interdire la transmission de leur géolocalisation à des entreprises commerciales. La maîtrise des données numériques est désormais devenue un élément crucial de la participation à la vie sociale, culturelle et politique. Dans un premier temps, les usagers des technologies ont bénéficié de la décentralisation de la puissance de traitement en passant d’ordinateurs centraux connectés à des terminaux, puis à des micros; nous assistons désormais à la recentralisation d’importantes masses de données via les technologies de l’informatique en "nuage" (Cloud) et bientôt la montée en puissance de services associés aux capteurs et aux objets. Avec ces changements de dispositifs technologiques, c’est la nature des données qui est amenée à évoluer. En effet, si pour l’essentiel, les données qui transitent sur internet sont aujourd’hui créées par les humains, dans un avenir proche ce sont les objets connectés, leurs capteurs et autres robots qui généreront la majorité du traffic sur les réseaux. La capacité qui sera donnée aux citoyens de maîtriser ces nouveaux flux de données pourrait devenir l’une des caractéristiques les plus cruciales de l’architecture informationnelle de nos sociétés. Dans le même temps, l’enjeu des données numériques est plus que jamais au coeur des questions économiques et des modèles qui les sous-tendent. Pour certains d’entre eux, il s’agit de valoriser les données des utilisateurs à des fins publicitaires, et pour d’autres d’analyser ces données afin d’établir de nouveaux services à valeur ajoutée. Ces services concernent des domaines aussi divers que la santé, la maîtrise de l’énergie, les transports, le tourisme ou la culture. À terme, de nouveaux services se mettront en place en lien avec de nouvelles générations d’objets connectés. L’intérêt pour les acteurs de l’économie numérique d’intervenir dans la fabrication des objets de grande consommation sera d’autant plus important que ces technologies permettront à leur tour de créer des services nouveaux dans la quasi-totalité des secteurs industriels. L’économie mondiale des produits et services numériques représente déjà plus d’un sixième de l’économie des biens et produits traditionnels. Cette part devrait bientôt rattraper celles des industries et services traditionnels et le coeur de métier de l’ensemble des entreprises industrielles pourrait ainsi évoluer vers des services informationnels. Ces mutations des usages liés aux données numériques correspondent aussi à des changements importants dans les formes culturelles, sociales et politiques que prennent nos sociétés. Ces mutations de nos sociétés ne peuvent (et ne doivent) pas être induites "mécaniquement" par la capacité des technologies ou la volonté de quelques acteurs industriels. Les personnes doivent en effet participer non pas en tant qu’utilisateurs mais bien en tant que "co-architectes" de cette nouvelle société numérique. En plus de leur impact économique, les mesures qui permettront de rendre intelligibles et maîtrisables les données et les services de l’internet, revêtent un caractère politique et stratégique pour l’ensemble de nos sociétés. Autant dire que cette transition numérique pose la question des enjeux démocratiques dans une société où la relation entre la surveillance et l’Etat de droit est réinterrogée à la lumière des moyens mis en oeuvre pour assurer un contrôle et une surveillance légitime de ces flux de données.
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